En
1874 en France, et plus tard en 1905 en Allemagne, sont respectivement apparus
des mouvements artistiques picturaux : l’impressionnisme et
l’expressionnisme. Chacun défendant ses idées, l’impressionnisme celle de
traduire la nature dans la beauté perçue au regard, et l’expressionisme dans la
mise en avant de l’expression des sentiments de de la vie par rapport aux
réalités du temps. Chacune de ces idées était soutenue plastiquement dans le
choix des matériaux et leur traitement ainsi que celui des sujets. Ce qui me
frappe dans le premier c’est la couleur qui est l’élément esthétique plus
utilisé pour soutenir l’idée force. Elle est explorée de différentes manières.
C’est à travers elle qu’on crée des volumes et des formes. Dans le second, ce
qui attire mon attention, c’est la question de la touche, la trace, du geste de
l’artiste qui reste très visible dans l’œuvre fruit de l’action elle-même de
l’artiste. Les deux caractéristiques que je viens d’énumérer, je les ai
retrouvées dans le travail d’un artiste qui a été reçu après une visite que
j‘ai faite dans son atelier, à Rencontre. Sans vouloir le classer dans l’un de
ces courants, ce qui serait ma foi insignifiant car les contextes, les
délimitations temporelles et idéologies sont différents, ainsi que le propos
même et la touche de l’artiste. Ce que je trouve intéressant c’est
l’utilisation de ces critères dans le travail de cet artiste. Critère que j’ai
ressorti après observation de son travail, rencontré à plusieurs de ses
expositions dans différents espaces artistique, après ma rencontre avec le
terrain artistique camerounais et dans les différentes discussions avec lui.
Joseph Francis Sumegne, le père de la Nouvelle Liberté.
Rencontre
avec l’artiste Joseph Francis Sumegne. Rencontre avec le petit garçon qui a grandi
aux cotés de sa grand-mère, son premier professeur de dessin à Bamendjou, dans
la région de l’Ouest Cameroun, dans les années 1950.
Rencontre avec le petit
garçon grandissant son intérêt pour le dessin, par la reproduction de bandes
dessinées, dans la boutique de son grand frère, à Bafoussam à ses heures perdues.
Rencontre avec le jeune
homme qui décide d’apprendre l’art dans les ateliers des peintres publicistes
Feuta François, Dikanda Georges et de bien d’autres encore.
Rencontre
avec l’homme désireux d’apprendre, choqué du traitement que lui allouaient ses
différents maîtres en l’empêchant de connaître, d’observer même pour mettre à
son tour en pratique. Le choc le poussant à l’effort, il ne s’arrête pour
autant pas et continue d’aller à la rencontre d’autres univers jusqu’à sa ‘Rencontre’ avec celui pour qui il se
revendique jusqu’aujourd’hui élève, Maître Martin Abessolo. Une rencontre qu’il
ne manque de citer car elle lui a permis de découvrir le monde artistique, par
sa participation à la 3ème biennale du Livre africain, sa première
exposition aux cotés de son maître.
« Le
laid peut être beau mais le joli jamais », citation de Martin Abessolo qui
le guide jusqu’aujourd’hui et qui a participé à la construction de sa
démarche artistique le JALA’A dévoilé pour la première fois dans une exposition
individuelle dans les années 1990, à l’Institut Français. Une exposition qui
suit le « Premier pas », exposition au Centre Culturel Américain en
1976,pendant laquelle il vendra plusieurs œuvres à hauteur de 300.500 francs
CFA ; une somme qu’il n’hésite pas à donner en détail car à l’époque
de très grande valeur.
Le
JALA’A, terme emprunté à sa langue maternelle, le Bamendjou signifie
dépassement de soi. C’est la démarche de l’artiste, une quatrième dimension
dans l’art. Elle est construite autour de plusieurs formes d’art et techniques
tels que le tissage, la soudure, la peinture, la tapisserie, bijouterie,
vannerie, collage.Il explore ces différents médiums à des proportions égales.
Ce qui rend difficile de parler avec lui de forme de prédilection. L’ensemble
est donc employé dans la sculpture que certains pourraient classer dans
l’assemblage. Ladite démarche est utilisée pour la réalisation de chacune de
ses œuvres, qui restent toutes des pièces uniques. Sumegne donne une deuxième
vie à des objets qu’il récupère, collecte, ramasse par ci par là, un vrai
travail d’acquisition pour créer un musée d’objets qu’il conserve jusqu’à leur
utilisation, dans une pièce telle une réserve de musée. Seul l’artiste maîtrise
l’ordre de cet espace, car à première vue on dirait un fourre-tout, suggérant
les premiers cabinets de curiosité d’antan. Explorant les volumes dans le vide
conscient : « le degré
zéro dans l’art » dit il. Il explore les questions identitaires chez
l’homme en nourrissant ses compositions d’éléments caractéristiques se rapportant à ce
dernier. Visage, coiffure et parure, habillement sont mis en exergue dans ses
compositions de par leur traitement. Ils dégagent le plus d’expression. Ces
outils sont traduits dans les œuvres de Sumegne dans les masques, portraits,
personnages humains-plus présents- dans différentes positions et situations, Il a fallu à l’artiste beaucoup d’endurance
pour aboutir à ce travail connu de lui
aujourd’hui. L’artiste est aujourd’hui le maître d’une signature sculpturale
riche en formes, en couleurs, en techniques et en dimensions.
La Nouvelle Liberté,
sculpture monumentale de 12 mètres de haut, fruit d’une résidence de création à
l’espace Doual’art, Centre d’Art Contemporain et Laboratoire de recherches
urbaines, de 1993 à 1996, restel’imposant
élément du Rond-Point Deido à Douala. Elle reste l’œuvre qui fait entrer
l’artiste dans l’univers de grandes dimensions et celui de la grande famille
artistique en tant que Maître. On suppose qu’à partir de cette œuvre que
l’artiste aborde mieux la question de l’équilibre dans la posture de ses personnages
n’est plus résolue par l’utilisation d’une sorte de béquille pour qu’ils
tiennent debout.
1:les
Neufs Notables à Doul'Art
Il
utilise aussi dans sa création, des thèmes et des éléments de la tradition
qu’il a connue tout petit. Rituels, sociétés secrètes, œuvres d’arts (masques,
statues, mobiliers) sont des éléments qui sont traduits, pas dans leur nature
propre mais transformés plastiquement.
Le
Jala’a, démarche technique et philosophique a pour premier objectif la question
esthétique. L’artiste poétise les couleurs, la texture, la matière, les volumes
et les formes des objets de caractères différents, qu’il a amassés et choisis
méticuleusement, l’un après l’autre, dans son atelier au carrefour Elig-Effa à
Yaoundé, pour réaliser des œuvres sculpturales dotées d’un expressionnisme remarquable,
captivant l’attention à première vue. « L’art c’est l’amour, le rituel et
le travail »dit-il. Il traite ses sujets en recherchant des effets
de variations de lumière et de forme ce qui crée cette richesse chromatique
tout de suite visible dans son travail. Les effets de volumes, d’ombres sont
suggérés par ce traitement. Le dessin n’étant pas ici le motif principal de la
création. C’est ainsi qu’il pourrait passer des années à la réalisation d’une
seule œuvre qu’il peut considérer après un résultat visible, satisfaisant le
regard de l’observateur, comme étant inachevée. L’œuvre les neuf notables en est
l’exemple. Installation de neuf personnages disposés en cercle vêtus d’étoffes
colorées,dans des drapés significatifs, comme s’ils se rendaient à une
cérémonie. Au centre un foyer. Chacun des personnages, différents des autres, au
niveau du faciès dégageant une expression unique. L’artiste a traité chacune
des sculptures soigneusement en leur donnant des postures différentes pour
accentuer le caractère singulier des personnages.
2: Visage
d'un personnage de l'oeuvre Les Neuf Notables
|
Il
évoque ici le groupe des neuf personnes garantes de l’ordre dans la communauté,
qui tempèrent les pouvoirs du chef traditionnel chez les peuples des Grassland.
Il utilise cette figure pour parler de la disparition de la tradition et de sa
dévalorisation dans nos cultures originaires. Malgré les différentes présences
de cette œuvre à divers évènements tels Dak’Art en 2004, une exposition
individuelle à Doul’art en 2005, le SUD (Salon Urbain de Douala) de 2007, le
maitre continue jusqu’aujourd’hui sa réalisation.
Joseph Francis Sumegne raconte
ainsi de belles histoires, histoires du médium pluriel, traduisant d’une si
belle manière le fond intérieur de l’artiste penseur qui intrigue même par les
titres de ses œuvres : Si la terre pouvait parler ;les
vierges dans l’étau ; l’enfant perdu, quelques une de ses premières œuvres en
tapisserie au début des années 1970.
L’artiste n’est pas un
donneur de leçon mais il fait attention à tout ce qui l’entoure comme
personnes, sujets, discussions et évènements. Cette attention se fait
d’ailleurs ressentir dans la facture de ses œuvres. La question du matériel, du
palpable, du conservable, du perdurable est phare pour l’artiste. Cette
question se ressent de par la vie qu’il donne aux objets déjà utilisés qui ont
été jetés, de par le temps qu’il prend pour chacune de ses réalisations et même
son point de vue en ce qui concerne l’art contemporain dans la vision vulgarisée aujourd’hui comme culture de l’immatérialité, du concept, vulgarisant une
réalité non tangible. Cette idée reste réfutée par l’artiste qui parfois se
refuse le titre d’artiste contemporain et préfère l’appellation artiste tout
simplement.
Bien qu’effacé de la
scène depuis plus d’un an, à travers expositions individuelles, il reste une
personne importante de la scène artistique camerounaise. Il est pour l’instant
l’un des rares artistes qui a définie toute une signature artistique
sculpturale qui porte un nom et un traité philosophique. Il reste aujourd’hui
réticent à accueillir des élèves dans son atelier car pense-t-il, c’est à
chacun de creuser et trouver sa propre voie. Sumegne reste tout de même
accueillant face aux différentes visites qu’il reçoit dans son atelier où il
est présent chaque jour.
Rencontre avec Joseph
Francis Sumegne le 05 Juin, au FIIAA à Shel Nsimeyong a été une superbe opportunité
pour le public présent. L’artiste s’est livré comme jamais et a ouvert comme un
livre tous les pans de sa vie. Lui, l’homme, l’artiste,de sa naissance à
aujourd’hui, dans un naturel et une humilité si remarquable qui plongea
l’assistance dans un voyage méditatif à la compréhension de son travail en profondeur.
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